- OCÉANIE - Histoire
- OCÉANIE - HistoireLes îles de l’Océanie, du fait de leur situation «au bout du monde» par rapport à l’Europe d’où sont venus les découvreurs, du fait aussi de leur isolement dans des immensités maritimes qui occupent près du tiers de la surface du globe, ont été les dernières terres atteintes et colonisées par mer. Sauf Guam et quelques îles de Micronésie où les Espagnols étaient présents dès la fin du XVIe siècle, ce n’est que dans le dernier tiers du XVIIIe siècle que les terres d’Océanie ont été vraiment intégrées à l’œkoumène. La surprise pour les navigateurs européens, c’est que, si isolées qu’elles fussent (île de Pâques ou Hawaii par exemple), elles étaient toutes occupées par des sociétés indigènes qui laissèrent souvent une impression inoubliable à ceux qui les découvraient, au point que les «îles des mers du Sud» ont continué à évoquer jusqu’à nos jours une sorte de retour au paradis perdu.Dès les premiers contacts, qu’ils aient été brutaux ou idylliques, entre les insulaires et ceux qui venaient d’un monde lointain et techniquement supérieur s’amorça dans les différentes îles une profonde évolution aboutissant à une extrême diversité de situations. Alors que certaines îles voyaient se développer une économie nouvelle fondée sur les plantations ou les mines et affluer des masses d’immigrants blancs ou asiatiques qui parfois submergeaient les autochtones, d’autres au contraire restaient un peu en marge et parvenaient à conserver pour l’essentiel la primauté des populations indigènes et des genres de vie traditionnels. Partagés au XIXe siècle entre les diverses puissances coloniales, îles et archipels du Pacifique ont connu, après le grand choc de la Seconde Guerre mondiale, des évolutions divergentes qui ont accentué la diversité des situations non seulement politiques mais aussi économiques. Si bon nombre d’entre eux sont devenus des États indépendants, souvent trop petits pour ne pas avoir besoin d’un soutien constant par exemple de l’ancienne puissance de tutelle, d’autres se sont orientés vers une large autonomie au sein d’un ensemble plus vaste (T.O.M. français) ou parfois même se sont totalement intégrés au sein d’une grande nation (Hawaii, 50e État des États-Unis).1. Les Européens au contact des îles du PacifiqueLa présence de groupes indigènes dans la totalité des îles et archipels de quelque importance est une originalité du monde Pacifique par rapport à l’océan Indien ou à l’Atlantique où, rappelons-le, les Mascareignes et les Seychelles, dans l’un, les Açores et Madère, dans l’autre, étaient inhabitées à l’arrivée des Européens. Certes, le problème du contact s’est posé en termes très différents suivant les archipels, en fonction de la nature plus ou moins belliqueuse des autochtones, de la structure de leur société, de leurs croyances religieuses et aussi bien sûr de leur densité, beaucoup plus forte en général dans le monde polynésien que dans les grandes terres mélanésiennes où l’occupation humaine était plus discontinue. Le type de contact était aussi fonction des Européens eux-mêmes, de ce qu’ils venaient chercher dans les îles et du temps qu’ils y restaient. En fait, les Européens que l’on rencontre dans le Pacifique au XIXe siècle par exemple appartenaient à des catégories très variées, mais nombre d’entre eux étaient de fortes personnalités qui marquèrent profondément l’histoire de ces microcosmes qu’étaient les îles.Aventuriers et trafiquantsImmédiatement après les découvreurs, qui en général ne firent que passer dans les îles, apparurent des aventuriers et des trafiquants au premier rang desquels figuraient les matelots désertant des navires de passage: beaucoup furent bien accueillis par les indigènes dans la mesure où ils apportaient la connaissance des techniques, notamment militaires et navales, qui faisaient la suprématie des Blancs. On sait par exemple le rôle que jouèrent les mutinés du Bounty dans les succès de Pomaré Ier à Tahiti, avant que certains d’entre eux ne se lançassent dans l’aventure bien connue de Pitcairn pour se mettre à l’abri des bateaux de guerre anglais. Aux Hawaii, le roitelet Kamehameha n’hésita pas à kidnapper en 1790 deux marins américains, Isaac Davis et John Young, dont il fit des grands chefs, qu’il maria à des princesses de haut rang, et qui furent ses conseillers écoutés dans les opérations qui lui permirent de réaliser l’unité de l’archipel hawaiien.En même temps, des bateaux armés en Europe ou aux États-Unis, suivant les traces de Cook, allaient faire la traite des fourrures sur la côte nord-ouest de l’Amérique et les revendaient en Chine après avoir fait escale aux Hawaii. Certains y trouvèrent dès 1791 un complément de cargaison avec du bois de santal, qui devint un élément important de trafic à partir de 1810... jusqu’à l’épuisement des ressources hawaiiennes au début des années 1830. On en chercha alors dans d’autres îles, et, en particulier à partir des années 1840, les santaliers australiens ou britanniques furent très actifs dans les archipels de Mélanésie, notamment en Nouvelle-Calédonie et aux Loyauté où leurs rapports avec les indigènes furent émaillés de multiples incidents sanglants. D’autres trafiquants parcoururent les îles à la recherche des holothuries séchées et fumées (trépang, très apprécié des Chinois), des perles (Tuamotu dès 1848), de la viande de porc salée (chargée à Tahiti pour Sydney), ou encore de l’huile de coco et du coprah. Enfin, les baleiniers armés en Europe et surtout en Nouvelle-Angleterre prirent l’habitude, dès le début du XIXe siècle, d’aller chasser dans les eaux encore riches en cétacés du Pacifique nord et d’hiverner aux Hawaii, qui devinrent ainsi le point de ralliement d’une grande partie de la flotte baleinière mondiale de 1840 à 1870. La présence massive de ces baleiniers, si elle permit un premier essor d’Honolulu et l’accumulation de capitaux réinvestis plus tard dans les plantations, n’eut pas que des conséquences heureuses: ponctions réalisées parmi les jeunes indigènes pour compléter les équipages, diffusion des maladies vénériennes. Si les Hawaii ont été les plus touchées par cet épisode baleinier décrit par Herman Melville (Moby Dick ), chasseurs de baleines et de cachalots ont joué ausi un rôle dans nombre d’archipels du Pacifique sud, sans parler bien sûr de la Nouvelle-Zélande où la chasse s’est pratiquée jusque dans les années 1950 dans le détroit même qui sépare l’île du Nord de l’île du Sud.Faut-il ajouter à cette première catégorie les bagnards, d’abord ceux de Nouvelle-Galles du Sud, dont on trouve des éléments, évadés ou libérés, dans tout le Pacifique pendant les premières décennies du XIXe siècle, ensuite ceux qui furent transportés en Nouvelle-Calédonie, 40 000 environ, entre 1864 et 1897? S’ils n’ont joué qu’un rôle limité dans le peuplement de l’île, ils ont restreint par leur présence même le flux de colons libres que souhaitait implanter le gouvernement français.MissionnairesAventuriers, trafiquants, voire capitaines et équipages des baleiniers se sont trouvés fréquemment en conflit, parfois violent, avec d’autres Blancs qui voulaient protéger les indigènes de leurs débordements, les missionnaires. Eux aussi sont arrivés très tôt, car le Pacifique a été l’un des grands bénéficiaires du puissant mouvement missionnaire qui a affecté tant les protestants que les catholiques au début du XIXe siècle. Le rôle des missions a été indiscutablement essentiel dans le façonnement des sociétés insulaires posteuropéennes, et, aujourd’hui encore, l’influence des Églises reste souvent fondamentale dans tous les aspects de la vie des populations indigènes dont le sens religieux est profond et ancien. Le missionnaire est d’abord quelqu’un qui vient pour séjourner longtemps, qui apprend les langues indigènes et les transcrit même en langage écrit. À Tahiti comme aux Hawaii, les premiers textes imprimés en langue polynésienne l’ont été par les missions. Il fallait de fortes personnalités pour se lancer dans l’inconnu à l’autre bout du monde, avec un soutien modeste et irrégulier de la métropole dont on était séparé dans la réalité des faits par les mois ou les années nécessaires pour obtenir la réponse à une demande. Venus pour enseigner la vraie foi et la vraie civilisation, ils ont lutté contre les coutumes païennes (anthropophagie, guerre, infanticide), mais aussi contre les nudités offensantes (adoption des «robes-mission»), les danses impudiques (hula aux Hawaii) et bien sûr les pratiques religieuses anciennes, qui étaient le fondement même des sociétés traditionnelles. C’est pourquoi leur action a été parfois critiquée comme destructrice de la civilisation indigène (Victor Segalen), d’autant plus qu’ils ont eu tendance souvent à s’appuyer sur l’autorité des chefs pour instaurer un ordre nouveau (respect obligatoire du sabbat par exemple) tendant parfois à une véritable théocratie, qui rappelait d’ailleurs dans une certaine mesure les traditions préeuropéennes (tabous).Ce sont les protestants qui se lancèrent les premiers dans l’évangélisation des îles, avec la London Missionary Society à Tahiti dès 1797, la Church Missionary Society (anglicans) en Nouvelle-Zélande en 1814 (Samuel Marsden), et l’American Board of Commissioners for Foreign Missions (puritains de Nouvelle-Angleterre) en 1820 aux Hawaii. Il leur fallut souvent de longues années pour obtenir des résultats tangibles, sauf aux Hawaii où la religion traditionnelle venait de s’effondrer lorsque arrivèrent les missionnaires puritains (transgression des tabous par le roi, 1819). Mais, lorsqu’ils parvinrent à convertir le roi et les grands chefs, ils purent instaurer, à Tahiti avec Pomaré II, baptisé en 1819, comme à Hawaii avec la régente Kaahumanu (1823), de véritables théocraties.Cette primauté fut remise en cause par l’arrivée des «papistes», qui non seulement pénétrèrent les archipels encore vierges de toute prédication (Gambier, 1834), mais encore s’attaquèrent aux bastions protestants comme les Hawaii (dès 1827) ou Tahiti (1836), voire la Nouvelle-Zélande (1838). Sur les conseils des missions protestantes, les chefs indigènes interdirent la prédication catholique, expulsèrent les missionnaires, persécutèrent les fidèles, d’où l’appel à l’intervention de la puissance qui s’est toujours affirmée comme la protectrice des missions catholiques, la France. À plusieurs reprises, les amiraux Laplace et A. Dupetit-Thouars intervinrent aux Hawaii et à Tahiti (1838-1842); finalement, Dupetit-Thouars obtint en 1842 la cession de Tahiti à la France, ce contre quoi les missionnaires anglais intriguèrent, d’où l’expulsion de Pritchard, consul britannique, ex-pasteur devenu marchand, qui mit la France et la Grande-Bretagne au bord de la guerre. En tout cas, à Tahiti comme à Hawaii, on passa ainsi à un pluralisme religieux renforcé par la suite par l’implantation d’adventistes, de mormons, etc. Dans d’autres archipels, au contraire, la «théocratie» a duré longtemps, et parfois n’a peut-être pas totalement disparu: aux îles Cook, par exemple, la fameuse «loi bleue» fondée sur l’application du décalogue est restée en vigueur de 1830 à 1880 et la législation actuelle en est fortement marquée. Aux Tonga, la London Missionary Society connut un échec total dès 1797, et les dissidents wesleyens qui la remplacèrent à partir de 1822 durent attendre 1828 pour connaître le succès, lorsque les révérends Thomas et Hutchinson parvinrent à convertir un chef qu’ils aidèrent ensuite à unifier l’archipel sous son autorité. La monarchie tongienne actuelle est issue de ce George Tupou Ier, devenu chef de l’Église wesleyenne indépendante des Tonga organisée par le révérend Shirley Baker. Du côté des catholiques également, où l’on s’est appuyé moins souvent sur la hiérarchie des chefs indigènes parce que l’Église a sa hiérarchie propre, sont nées de véritables théocraties, comme celle du père Laval aux Gambier ou de Mgr Bataillon à Wallis-et-Futuna. Les rivalités entre catholiques et protestants continuent à jouer un rôle parfois important: l’indépendance du Vanuatu a marqué en fait ainsi, pour un temps du moins, la victoire, après les trois quarts de siècle du condominium franco-anglais sur les Nouvelles-Hébrides, des protestants anglophones sur les catholiques francophones.Marchands et planteursEnfin, dans la seconde moitié du XIXe siècle surtout, s’installent dans les îles des catégories d’Européens ou d’Américains plus stables en tout cas que les aventuriers et les trafiquants des débuts: il s’agit des marchands et des planteurs. Les premiers, représentant parfois des maisons de commerce de leur pays d’origine, assuraient à la fois la collecte des produits indigènes, la vente des produits manufacturés dans les îles et aussi le ravitaillement des navires de passage, parfois fort nombreux (baleiniers). Certaines de ces firmes sont devenues des puissances dans les îles: citons par exemple la maison Ballande en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides, ou encore le rôle de Godeffroy de Hambourg, fer de lance de la colonisation allemande dans le Pacifique, relayé par la Deutsche Handel und Plantagegesellschaft (D.H. & P.G.), ou celui de la Burns Philp & Co. australienne. À côté de ce «grand commerce» européen a pu s’installer parfois un petit commerce chinois, au contact direct avec les indigènes, et, dans bon nombre d’archipels aujourd’hui encore, les Chinois jouent un peu le rôle commercial des Syro-Libanais dans l’Afrique de l’Ouest. Dans certains cas, d’ailleurs (Hawaii), le petit commerce chinois s’est mué en grand capitalisme. Il est vrai que, aux Hawaii, les sociétés de commerce installées par des Américains, notamment par des missionnaires puritains (Castle & Cooke) ou leurs descendants, sont devenues aussi de très grosses sociétés («agences») qui, depuis la Seconde Guerre mondiale et surtout l’accession de l’archipel au rang d’État des États-Unis (1959), ont acquis une dimension multinationale.Le second groupe, souvent étroitement associé au premier d’ailleurs, est celui des planteurs. Les îles ont vu affluer en effet un certain nombre d’hommes entreprenants qui avaient l’idée de créer des plantations sans savoir toujours quelle était la spéculation rentable, d’où bien des tâtonnements: aux Hawaii, par exemple, on a fait du blé, de la pomme de terre, du coton, du café, de l’élevage de vers à soie avant de se tourner vraiment vers la canne à sucre dans les années 1860. À Tahiti, la tentative de Stewart à Antimaono (coton et café) ne dura guère. Aux Fidji, les planteurs anglais des années 1850 et 1860 ont fait du coton et ont prospéré en particulier pendant la guerre de Sécession. Mais, au début des années 1870, ruinés par la renaissance du sud des États-Unis et l’essor de nouveaux producteurs, ils ont dû se tourner vers la canne à sucre et surtout réclamer l’annexion de l’archipel par la mère patrie (1874). C’est que, pour les planteurs, la première condition du succès était de s’assurer un marché pour leurs produits, si possible protégé, d’où le souhait d’annexion. Aux Hawaii, les plantations de canne à sucre n’ont pu vraiment se développer qu’à partir de 1876, lorsque le traité de réciprocité (libre-échange partiel) entre le royaume hawaiien et les États-Unis fut signé. La deuxième condition du succès était de pouvoir obtenir les terres nécessaires à la création de leur plantation. Dans nombre d’archipels, cela se fit au départ par négociation directe avec les chefs qui n’avaient pas toujours la maîtrise des terres et qui ne comprenaient pas non plus la signification réelle de l’aliénation foncière. La prise en main du destin des îles par les puissances coloniales aboutit souvent à une révision de ces premières transactions, à une normalisation des procédures et à la mise en dehors du marché foncier de terres indigènes inaliénables et soumises à la coutume orale: ce fut le cas dans les colonies allemandes comme dans les colonies britanniques. À Tahiti, le problème ne se posa guère puisqu’il n’y eut pratiquement pas de tentatives de plantations européennes; en Nouvelle-Calédonie au contraire, à l’exception des Loyauté et de quelques autres îles qui restèrent purement indigènes, l’installation de colons et la création de grands domaines d’élevage, notamment sur la façade ouest de la Grande Terre, entraînèrent une réduction des réserves mélanésiennes et des tensions qui ont constitué l’un des aspects du «problème calédonien». Aux Hawaii, c’est par la volonté même du roi indigène conseillé par les missionnaires protestants que l’on est passé (1849-1853) du stade féodal traditionnel à un grand partage (Mahele ) des terres entre le roi et le gouvernement, les chefs et les tenanciers, chacun pouvant disposer en pleine propriété de son attribution. En fait, cela a permis dans les décennies suivantes un formidable transfert foncier au profit des planteurs. La troisième condition du développement des plantations ou de toute forme d’économie moderne, c’était évidemment de disposer d’une main-d’œuvre suffisante. Mais cet aspect déborde le simple cadre des plantations ou des mines, dans la mesure où il ne peut se comprendre que par référence à l’évolution démographique d’ensemble et que les solutions choisies ont parfois totalement changé la composition même de la population des îles.2. Les transformations des populations insulairesÀ l’arrivée des Européens, les îles du Pacifique étaient toutes peuplées, sans qu’il soit possible bien sûr de connaître avec précision le nombre des indigènes, d’où des évaluations fort divergentes suivant les auteurs et une tendance parfois peut-être à exagérer le chiffre initial. Quoi qu’il en soit, il est frappant de constater que, dès les premiers contacts avec les Européens, les populations indigènes ont amorcé le plus souvent un déclin démographique qui a parfois mis leur existence même en péril. Aux Fidji, par exemple, il y avait 150 000 Mélanésiens vers 1860 et seulement 85 000 en 1921, tandis qu’aux Salomon et aux Nouvelles-Hébrides on tombait, dans la même période, de 150 000 à 180 000 habitants à 60 000 pour le premier et à 40 000 pour le second archipel. En Nouvelle-Calédonie, il y eut peut-être 60 000 habitants, mais dès 1860 on n’en comptait plus que 27 000, et 16 000 en 1900. Aux Marquises, enfin, des 25 000 à 30 000 Polynésiens en 1840 il n’en restait plus que 2 255 en 1926. Les mêmes observations pourraient être faites à l’île de Pâques, à Tahiti, aux Australes, aux Samoa, etc. Le pire a peut-être été le cas des Hawaii où il n’y avait plus, en 1900, que 39 656 Hawaiiens, en y comprenant 9 857 métis, alors qu’y vivaient de 200 000 à 300 000 indigènes à l’arrivée de Cook. En revanche, d’autres archipels ont beaucoup mieux résisté, comme les Tonga, Wallis-et-Futuna, les Loyauté, les Cook et probablement les Gilbert et Ellice.Les causes de l’effondrement démographique des indigènesLes causes de ce recul sont multiples et peut-être doit-il beaucoup en fait à une certaine fragilité liée à l’isolement même, à un phénomène qu’on pourrait presque appeler d’«endémisme humain». En tout cas, cette fragilité s’est manifestée de façon frappante face aux maladies nouvelles véhiculées par les arrivants. On pense bien sûr à la syphilis (était-elle vraiment nouvelle partout?), à la lèpre (le terrible «mal chinois» aux Hawaii où le père Damien s’est dévoué jusqu’à sa mort aux exclus de Kalaupapa), aux maladies pulmonaires dont la progression a peut-être été facilitée par l’adoption de vêtements, certes décents, mais peu adaptés au climat. En fait, les grandes hécatombes sont liées à des épidémies: la variole, la rougeole, la coqueluche, diverses formes de choléra et de dysenterie, la grippe même se sont succédé souvent et ont creusé des brèches épouvantables. La mortalité a été accrue directement ou indirectement par un goût immodéré pour l’alcool de populations dont la seule boisson à caractère stupéfiant était jusque-là le kava. Enfin, dans les guerres traditionnelles, les pertes se sont élevées à la mesure de l’efficacité des armes européennes qui ont constitué un temps l’élément de commerce le plus recherché avec l’alcool. De plus, dans certains archipels, guerres (Nouvelle-Zélande) et révoltes contre les Européens (Nouvelle-Calédonie) ont coûté cher.Il y a eu aussi des transferts de population indigène, par exemple vers les plantations sucrières du Queensland australien (1848-1904), vers celles des Fidji ou encore vers les mines de Nouvelle-Calédonie. Le recrutement, parfois sous contrat régulier, mais parfois aussi dans des conditions rappelant la traite négrière («chasse aux merles»), a particulièrement affecté certains archipels comme les Salomon ou les Nouvelles-Hébrides, dont des régions côtières entières ont été dépeuplées. Parmi les pires négriers, il faut en tout cas placer les expéditions chiliennes et péruviennes (1860-1890) qui ont ratissé l’île de Pâques, les Marquises et nombre d’îles, jusqu’aux Tonga et aux Gilbert, afin de fournir de la main-d’œuvre pour l’exploitation du guano ou des nitrates.Face à ces pertes, il ne semble pas que les populations indigènes aient manifesté un dynamisme démographique susceptible de combler les vides. Avaient-elles avant la découverte un fort taux de natalité? On ne saurait le dire, même si le développement de la prostitution et de la syphilis a sûrement joué dans le sens d’une baisse. Faut-il voir aussi dans la faible fécondité le signe d’un certain découragement, voire d’un certain refus de vivre de gens à la dérive devant un monde ancien qui s’est écroulé et un monde nouveau qui reste étranger et incompréhensible? Certains missionnaires, par exemple, ont noté ici et là des manifestations d’un certain mal de vivre, qui a pu se traduire aussi par la prolifération de sectes messianiques et millénaristes. Mais on peut aussi noter en sens contraire des exemples de populations qui ont su remarquablement intégrer mentalement et utiliser avec bonheur les éléments positifs des grands bouleversements qui les touchaient.L’afflux des migrantsDans bon nombre d’archipels, on prévoyait dans les dernières décennies du XIXe siècle la possible disparition à plus ou moins long terme des indigènes. Dans ces conditions, l’éventualité d’un développement d’activités «modernes» (plantations, mines) passait par l’importation d’une main-d’œuvre extérieure, d’autant que les insulaires s’adaptaient souvent mal aux rudes contraintes imposées aux travailleurs. N’ont donc été touchés que les archipels où se sont développées plantations et mines, c’est-à-dire essentiellement les Fidji, les Hawaii, la Nouvelle-Calédonie et, dans une moindre mesure, les Nouvelles-Hébrides, les Samoa occidentales, sans compter les petits atolls soulevés, producteurs de phosphates comme Makatea, Nauru et Océan. Aux Salomon, les plantations de cocotiers de Guadalcanal ou des îles Russell peu gourmandes en main-d’œuvre ont pu fonctionner avec les seules ressources de l’île de Malaita, la plus peuplée de l’archipel.Aux Fidji, anglaises depuis 1874, c’est à l’Inde britannique que l’on a fait appel: 61 000 travailleurs sont venus entre 1879 et 1916, avec des contrats prévoyant en général cinq années de travail, plus la possibilité de cinq autres années en qualité d’ouvrier libre et une option pour le retour ou pour rester dans les îles au bout de dix ans. Comme il est arrivé en moyenne quatre femmes pour dix hommes et que la grande majorité des Indiens soit a choisi de s’installer, soit est revenue aux Fidji après un retour décevant aux Indes, la communauté indienne des Fidji s’est très rapidement enracinée et a pu se développer grâce à la remarquable fécondité des femmes indiennes..., d’où la situation explosive que connaît aujourd’hui l’archipel avec le face-à-face Indiens-Mélanésiens. En Nouvelle-Calédonie, c’est à des contingents japonais (expulsés en 1942), tonkinois et javanais que l’on a fait appel (1890-1940), et même si la majeure partie des Tonkinois est rentrée au Vietnam (comme ceux des Nouvelles-Hébrides d’ailleurs) en 1960-1964, il subsiste des descendants qui contribuent à la diversité de la population de la Grande Terre. Mais l’originalité de la Nouvelle-Calédonie vient des tentatives qui ont été faites pour y implanter un peuplement blanc de petits colons. Si cela n’a pas toujours été un succès, il en est resté cependant un noyau de population européenne dont les descendants vivent aujourd’hui sur le «caillou» depuis trois ou quatre générations.À Nauru, aux Samoa, en Polynésie française, les Chinois ont formé la masse des travailleurs, dont une partie a d’ailleurs été rapatriée à des dates diverses. C’est certainement aux Hawaii en tout cas que les phénomènes migratoires ont pris la plus grande ampleur, avec la diversité la plus extrême et les conséquences les plus considérables pour l’avenir de l’archipel. L’immigration y a été envisagée non seulement sous l’angle de la force de travail, mais aussi comme moyen soit de régénérer la race indigène en voie d’effondrement, soit de lui substituer d’autres groupes assimilables dans une future société de type américain. C’est pourquoi, entre 1852 et 1931, près de 400 000 immigrants sont venus; des Asiatiques (46 000 Chinois, 180 000 Japonais, 120 000 Philippins, 7 900 Coréens), mais aussi des Portugais des îles surpeuplées de l’Atlantique (Açores, Madère), en tout 17 500, des Espagnols, des Allemands, des Russes, des Norvégiens même, sans compter un fort contingent de Portoricains (5 900) et des insulaires d’autres archipels du Pacifique (près de 2 500). Naturellement, les sources ont varié avec le temps: c’est ainsi que l’immigration chinoise a été totalement stoppée avec l’annexion par les États-Unis en 1898, car les lois d’exclusion du continent se sont appliquées alors à l’archipel. Pour les Japonais, en 1907, un gentlemen’s agreement entre le Japon et les États-Unis interrompit la venue des hommes, mais permit la poursuite d’une immigration féminine (jusqu’en 1924) pour que puissent se constituer des familles (systèmes des picture brides ou fiancées sur photos). À partir de 1913, les Philippins furent les seuls immigrants jusqu’à ce que la crise interrompe le mouvement en 1931.Dans cette masse d’immigrants, certains sont rentrés dans leur pays à la fin de leur contrat et d’autres se sont servis des Hawaii comme d’un relais vers le continent nord-américain. C’est d’ailleurs à cause des protestations des Californiens «envahis» par des Japonais arrivant des Hawaii que fut signé l’accord de 1907. En tout cas, cette immigration de main-d’œuvre pour les plantations de canne à sucre d’abord, puis d’ananas à partir de 1907 est à l’origine de l’extraordinaire kaléidoscope ethnique caractérisant la population du cinquantième État des États-Unis.3. Le partage du PacifiqueSur le plan politique, la première conséquence de l’arrivée des Européens a sûrement été l’unification des îles ou archipels partagés jusque-là entre des chefs ou roitelets rivaux traditionnellement en guerre les uns avec les autres. C’est en général le chef le plus habile à tirer parti des techniques militaires européennes, le plus adroit pour s’assurer le concours de «conseillers» européens, voire l’appui par exemple des missionnaires, qui a su réaliser cette unité. On peut citer aux Hawaii Kamehameha Ier, «le grand», qui accueillit Cook alors qu’il n’était qu’un des jeunes chefs de l’île d’Hawaii et régna jusqu’en 1819 après avoir mené à bien sa difficile œuvre d’unification, comme le firent de leur côté Pomaré Ier à Tahiti, ou George Tupou Ier aux Tonga (ancêtre de la monarchie actuelle de l’archipel). Ces monarchies étaient cependant bien faibles avec leurs institutions «à l’européenne» et la nécessité de recourir à des conseillers blancs pour les faire fonctionner. En tout cas, elles n’avaient aucun moyen d’assurer leur indépendance lorsque l’une ou l’autre des grandes puissances coloniales souhaitait étendre sa domination.Dans le Pacifique, la répartition des archipels entre les empires coloniaux s’est faite parfois pour des raisons stratégiques, parfois pour répondre aux sollicitations de nationaux déjà installés, planteurs, marchands ou surtout missionnaires, et souvent pour éviter tout simplement que l’annexion ne fût faite par un autre pays. Le cas de la Nouvelle-Zélande est caractéristique, puisque la Grande-Bretagne annexa l’archipel en 1840 par crainte d’être devancée par les Français et sur la demande notamment des missions protestantes inquiètes de la pénétration catholique. Cette annexion entraîna d’ailleurs rapidement les Britanniques dans des guerres très dures avec les Maoris (1844-1872). Ceux-ci une fois éliminés, la Nouvelle-Zélande put s’ouvrir très largement à une colonisation britannique qui en fit une petite Albion des antipodes, puisque, au début du XXe siècle, les Maoris ne comptaient plus que pour 6 p. 100 à peine de la population.La France de la monarchie de Juillet et du second Empire, disposant d’une marine active et désirant soutenir les missions catholiques contre les protestants anglo-saxons, s’implanta aux Marquises dès 1842, établit son protectorat sur Tahiti en 1843, annexa la Nouvelle-Calédonie en 1853 et les Loyauté en 1866. La IIIe République mena une politique coloniale très dynamique dans le Pacifique, annexant Tahiti et les Tuamotu (1880), les Australes (1881), les Gambier (1882), Wallis-et-Futuna (1886) et enfin les îles Sous-le-Vent (ouest des îles de la Société) en 1886. Par comparaison, la Grande-Bretagne, qui, il est vrai, avait beaucoup à digérer par ailleurs, semble avoir agi surtout pour bloquer l’expansion de la France et de l’Allemagne, et pour satisfaire ses grandes colonies du Pacifique, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (devenues dominions depuis 1901 et 1907). Après les Fidji (1874), elle annexa le sud-est de la Nouvelle-Guinée (1884) et le sud-est des Salomon (1886), les îles Cook (1888), les Gilbert et Ellice (1892) et les Tonga (1900). Elle s’inquiétait en fait de la progression de l’Allemagne dans le sud-ouest du Pacifique, celle-ci ayant, en 1884-1885, réussi à s’implanter au nord-est de la Nouvelle-Guinée et dans l’archipel Bismarck (Nouvelle-Poméranie et Nouveau-Mecklembourg, devenus par la suite Nouvelle-Bretagne et Nouvelle-Irlande). Plusieurs territoires étaient source de conflit entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne: l’ouest des Salomon où finalement, en 1899, Bougainville et Buka furent attribuées à l’Allemagne et le reste à l’Angleterre, et les Samoa où Allemands, Anglais et Américains se trouvèrent impliqués dans les extraordinaires imbroglios des rivalités locales, après le curieux intermède de la grande fédération polynésienne tentée par le roi d’Hawaii: le cyclone de mars 1888 qui détruisit les navires des trois puissances ancrés à Apia facilita un accord (1889) qui réserva les Samoa occidentales à l’Allemagne, la petite partie orientale, avec la belle baie de Pago Pago, étant attribuée aux États-Unis en 1899. C’est que ces derniers étaient déjà alors une grande puissance du Pacifique après la guerre victorieuse contre l’Espagne (1898), qui leur avait permis d’occuper Guam et les Philippines, tandis que les Hawaii, devenues après la révolution de 1893 une république proaméricaine, étaient annexées en raison de leur situation stratégique en 1898 également. Privés de leurs colonies intéressantes, les Espagnols se débarrassèrent de ce qui leur restait de la Micronésie en la vendant (1899) aux Allemands qui avaient pris pied déjà aux Marshall. Quant à l’île de Pâques, qui avait failli devenir française, elle fut annexée par le Chili en 1888. Le dernier archipel non attribué, les Nouvelles-Hébrides, où se concurrençaient Français catholiques et Anglo-Saxons protestants, se vit doté en 1906 du curieux régime du condominium franco-anglais. Dans l’ensemble, l’installation des puissances coloniales s’était faite pacifiquement, sauf en Nouvelle-Zélande pour l’Angleterre et dans les îles Sous-le-Vent pour la France. Il y eut bien par la suite des incidents dans certains archipels et des difficultés plus sérieuses là où s’est posé le problème des terres (révoltes de Nouvelle-Calédonie, autour du chef Atai en 1878, puis en 1917).Les îles du Pacifique entrent alors dans une période de paix un peu somnolente si bien décrite par R. L. Stevenson (mort à Apia en 1894) et peinte par Gauguin (mort aux Marquises en 1903). Administrées de façon assez lâche depuis de lointaines métropoles, elles exportent quelques productions minières (Nouvelle-Calédonie: nickel, chrome, etc., depuis 1877) et surtout des produits agricoles: sucre de canne (Fidji, où la Colonial Sugar Refining détient un monopole depuis les années 1920, Hawaii), ananas (Hawaii), un peu de cacao, de café (Nouvelle-Calédonie) et du coprah fourni aussi bien par les cocoteraies villageoises indigènes que par les grandes plantations. Il se produit cependant un fait majeur et non prévu: c’est l’arrêt du déclin démographique des populations indigènes, entre 1900 et 1920 en général, et l’amorce d’une reprise souvent très puissante. Seules les Hawaii font un peu exception dans la mesure où les Polynésiens purs continuent à diminuer, au profit d’un groupe de métis il est vrai en pleine expansion.Sur le plan politique, la Première Guerre mondiale amène quelques bouleversements avec la disparition de l’Allemagne au profit de l’Australie (Nouvelle-Guinée, archipel Bismarck, ouest des Salomon), de la Nouvelle-Zélande (Samoa occidentales) et du Japon qui entreprend alors une colonisation et une militarisation de grande envergure dans la Micronésie qui lui est attribuée. La crise de 1929-1930 ébranle fortement le secteur des plantations qui ne retrouve un peu de dynamisme qu’à partir de 1935. Mais déjà les tensions montent, la menace japonaise se précise, les Américains renforcent considérablement la puissance de leur base de Pearl Harbor à Oahu (Hawaii). Ce sont les prémices d’un conflit qui va toucher directement cette fois-ci le Pacifique insulaire.4. De la Seconde Guerre mondiale à nos jours: l’émergence des États insulairesLa partie européenne de la guerre n’a certes pas été sans conséquences importantes pour les îles du Pacifique, avec l’envoi massif de troupes et de matériel depuis les colonies et dominions britanniques, avec le ralliement des territoires français à la France libre et la création d’un deuxième bataillon du Pacifique (après celui de 1916), qui s’illustra notamment à Bir Hakeim et en Italie. Mais, à partir du 7 décembre 1941, nombre d’îles vont se trouver directement plongées dans la tourmente (Hawaii, Nouvelle-Guinée, Salomon, Guam, Gilbert et Ellice) et d’autres vont acquérir un rôle stratégique qui y attire les combattants alliés par centaines de milliers (Nouvelle-Calédonie, Nouvelles-Hébrides et bien sûr Hawaii). Le flux et le reflux japonais de 1941 à 1945, avec leur cortège de terribles batailles aéronavales, de grands débarquements et de combats acharnés à terre, vont toucher les îles de l’ouest et du nord du Pacifique. Remarquons cependant que, même là, les destructions ont finalement été localisées: aux Salomon, par exemple, Florida et surtout la plaine du nord de Guadalcanal où se trouvait le seul aérodrome (Henderson Field) ont concentré presque toute l’activité militaire; le reste de l’archipel a été peu affecté. Ensuite, la tactique de reconquête américaine («sauts de puce»), concentrant les efforts sur quelques îles essentielles (Tarawa, Saipan, Iwo Jima, etc.), a finalement limité aussi les destructions. En revanche, le choc psychologique pour des populations indigènes brutalement confrontées à la puissance technique et à l’opulence américaine a été à l’origine du soudain développement des sectes messianiques et millénaristes organisant le retour imminent de l’âge d’or («cultes du cargo»).La défaite du Japon entraîna bien sûr la perte de la Micronésie dont la tutelle fut confiée par l’O.N.U. aux États-Unis, tandis que les colons japonais étaient expulsés. Le système de tutelle a été abandonné en 1986 et la Micronésie se partage désormais en quatre entités politiques, plus Guam (territoire des États-Unis): les Mariannes du Nord, Commonwealth des États-Unis, Palau, les Marshall et les États fédérés de Micronésie, librement associés aux États-Unis. Quant aux Hawaii, territoire des États-Unis depuis 1898, elles ont accédé au rang de 50e État des États-Unis en 1959 et sont devenues le point nodal de l’influence américaine dans le Pacifique.D’autres îles ou archipels ont conservé des liens institutionnels avec une puissance plus importante: c’est le cas des îles Cook, autonomes et associées à la Nouvelle-Zélande depuis 1965, comme Niue (1974), les Tokelau restant simples dépendances. C’est le cas aussi bien sûr des trois territoires d’outre-mer français (Nouvelle-Calédonie et dépendances, Wallis-et-Futuna, Polynésie française) dont les statuts successifs marquent une progression dans le sens d’une autonomie de plus en plus grande avec, dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, une régionalisation récente qui aboutit à un partage de l’espace entre les Canaques et les autres, Européens, Wallisiens et Asiatiques. Rappelons enfin que l’île de Pâques reste une dépendance chilienne, Pitcairn britannique, Norfolk un territoire australien et enfin tout l’ouest de la Nouvelle-Guinée constitue la province indonésienne d’Irian où les Papous sont menacés d’être submergés par l’afflux de colons venant des îles surpeuplées du grand archipel.Les autres archipels ont évolué vers l’indépendance et constituent des États représentés à l’O.N.U. La première de ces jeunes nations a été les Samoa occidentales, ex-colonie allemande passée sous tutelle néo-zélandaise, indépendantes depuis 1962. Elles ont été suivies en 1968 par Nauru, le plus petit État du monde, riche de ses phosphates, puis les Fidji (1970), où le départ des Britanniques laisse face à face les Mélanésiens et les Indiens, et les Tonga (1970), largement autonomes depuis longtemps déjà. En 1975 naît la Papouasie - Nouvelle-Guinée qui réunit la moitié de la Nouvelle-Guinée, l’archipel Bismarck et l’ancienne partie allemande des Salomon, avec les gisements de cuivre de Bougainville: c’est le géant de l’Océanie insulaire. La même année, la colonie anglaise des Gilbert et Ellice se disloquait, les Ellice devenant en 1978 le micro-État indépendant de Tuvalu et les Gilbert (plus les îles de la Ligne et les îles Phoenix) celui du Kiribati en 1979. En même temps (1978), la colonie anglaise des Salomon accédait aussi à la pleine souveraineté, de même que deux ans plus tard les Nouvelles-Hébrides, sous le nom de Vanuatu, et après de graves difficultés.La multiplication de ces micro-États insulaires pose la question de leur viabilité. En dehors peut-être de la Papouasie - Nouvelle-Guinée et des Fidji, qui ont par ailleurs d’autres handicaps (faible densité de population pour l’une et société «duale» à fort antagonisme pour l’autre), on peut se demander s’ils ont un poids humain et des ressources suffisantes pour être réellement indépendants économiquement, voire politiquement; nombre d’entre eux restent en fait étroitement liés aux anciennes puissances colonisatrices et largement dépendants des aides des organismes internationaux. Certes, ces petits États ont pu profiter un temps, dans le contexte de la guerre froide et de la rivalité entre les deux blocs, de leur situation stratégique au sein d’un espace Pacifique particulièrement dynamique et dont l’importance ne cesse de croître depuis plusieurs décennies. Mais cet avantage considérable s’est un peu estompé depuis l’effondrement de l’U.R.S.S., et les îles ont perdu ainsi une partie de leur capacité à faire de la surenchère auprès des grandes puissances riveraines. Quant au privilège de contrôler d’immenses espaces océaniques par le biais du nouveau droit de la mer (zones économiques exclusives de 200 milles), il reste largement virtuel et moral dans la mesure où, sauf pour les droits de pêche (mais les eaux tropicales ne sont guère riches), cela n’offre que des perspectives d’avenir très limitées ou fort lointaines (nodules polymétalliques). Pourtant, il reste vital pour ces États insulaires de continuer à bénéficier de la sollicitude des grandes puissances et des instances internationales qui fournissent les aides indispensables à leur développement à un niveau par habitant largement supérieur à l’effort consenti au profit des grands États continentaux en situation de détresse économique.
Encyclopédie Universelle. 2012.